Quittant le groupe, Nick Evans et Mark Charig laissent Elton Dean et Lyn Dobson assurer le rôle de section dassaut cuivré. Cet enregistrement nous permet donc de découvrir le quintet dans sa première apparition publique ! Et si ce line-up ne représente quune phase de transition dans la longue histoire du groupe ; il est tout de même lentité qui séduira le plus sûrement le mélomane confirmé en quête de sensations fortes !
Et pour cause : formule magique ! Difficile de laisser décoller quatre cuivres en même temps sans :
- bloquer la Machine,
- sombrer dans lanarchie totale.
Deux sax, quant à eux, peuvent tantôt :
- tisser des harmonies étranges en jouant de concert des riffs étranges et inattendus,
- adopter un discours libéré et exubérant.
Lyn dispose ici dun espace considérable pour exposer son talent en pleine lumière, sans entrave ; et cest inutile de le dire, Elton est vaincu par KO.
Sil ny a quun live de la machine molle à posséder, cest bien celui là ! En effet, de ce concert est extraite la version de "Facelift" qui figure sur Third. Et si ce morceau est le seul absent du set, peu importe car le reste est là, prêt à assener une claque monumentale à quiconque aura le bonheur de l'écouter.
Le répertoire est pour le moins inhabituel : rare, voir même inédit ! "Eamonn Andrews" est livré ici dans sa version complète, "Mousetrap" napparaît que sur deux enregistrements de la BBC, "12/8 Theme" apparaît pour la première fois, et "We did it again", qui navait jamais été enregistré par ce line-up, est ressuscité pour loccasion.
Il est étonnant de voir comment Hugh et Mike arrivent à maintenir lossature complexe des compos malgré leurs propres propensions à limprovisation et lavalanche de rythmes que Bob, impitoyable, leur fait tomber dessus. Ces jeunes gens totalement déraisonnables avaient en leurs mains une machine de guerre dont ils abusaient avec allégresse, et ils se livraient sur scène une véritable bataille.
La musique de la machine molle est la résultante schizophrène dun équilibre dinfluences variées et de forces bouillonnantes ! Mais léquilibre va osciller dun côté et de lautre, adoptant, comme une molécule complexe, une multitude de configurations selon les époques.
Si lesprit du groupe en cette période particulière, est marqué par une incontestable ouverture à lexpérimentation tous azimuts, lemphase dont il fait preuve est celle qui donnait à Volume 2 sa personnalité si turbulente ; si le groupe est Rock dans son énergie dévastatrice, il est Jazz dans sa propension à limprovisation et à laventure !!!
Les soli pleuvent. Tous improvisent, sur le devant de la scène ou en accompagnant, recherchant linhabitude, repoussant les limites, ouvrant des horizons nouveaux. Et lémulation qui existe entre les musiciens est très sensible. Ils se perturbent mutuellement, se poussent les uns les autres sur les terrains mouvants de la chinoiserie sauvage !
Une gamme dambiances très large est déployée : Dans une cavalcade haletante, lauditeur, scotché à sa chaîne, sort de létat dhypnose ("Eamonn Andrews") pour être projeté en pleine fureur grouillante ("Mousetrap"), avant de se remettre à rêver, puis à danser ("Backwards"). Puis il est à nouveau catapulté avec violence dans une succession de cataclysmes incontrôlés. Les éléments se déchaînent !
Le jazz des Fourth et Fifth savérera nettement plus figé dans son approche de limpro, et Dean révélera très rapidement ses limites.
Lyn, par contre, au moment où il entre dans la Machine, avait déjà un CV chargé ! Cet ancien side-man de Georgie Fame et Manfred Mann était un musicien très demandé sur les scènes tant pop que jazz. Mais même parmi les jazzmen, il se sentira bien vite à létroit et se penchera sur les musiques ethniques. Lanimal se distingue donc aussi par ses influences, bien plus étendues que celles de ses compères. Son style est déjà, à ce stade, très affirmé :
Son saxophone, plaintif senvole en de bourdonnantes mélopées imprégnées de ce feeling raga, qui confère à Noisette ce côté exotique, ésotérique et brumeux !
Mais Lyn est aussi un flutiste surdoué, très marqué par Roland Kirk. Son solo sur "Backward" mêle squat et notes avec une éblouissante vitalité. Lexcentricité du personnage est pleinement perceptible dans les interventions vocales qui ponctuent ses soli.
"Eamonn Andrews", introduit par le piano rêveur de Mike et les lignes de basses sourdes et pénétrantes de Hugh développe une puissance hypnotique hors du commun. Un riff, joué par la basse et lorgue fuzz, mêle des thèmes en les imbriquant sournoisement les uns dans les autres, sur le modèle de la Fugue ; et puis çà décolle.
La batterie de Bob et lorgue de Ratledge assurent une rythmique cyclique, empruntant sa substance aux musiques sérielles, mais furieusement traversée par des éclairs lancinants de batterie mitraillette. Cela a un effet des plus stimulants sur la basse enfiévrée de notre sorcier Hugh, qui, dans sa colère, explose en menaces, tronçonnées dans la fuzz. Lyn se joint en appuyant les bend et les breaks assassins de bruits, et de cris de saxo.
Après quoi, Bob essayer de nous égarer dans un labyrinthe de variations rythmiques qui, privilégiant les contre temps, les syncopes, brouillent les repères. Le jeu de Wyatt, qui gagnera par la suite en audace et en finesse, est ici écrasant de densité et de puissance.
Le riff de "Mousetrap" nous réveille en sursaut. Rugi par les sax, dont la voix est enrouée par la disto, son impact est dautant plus foudroyant que le thème est étrange, incongru !
"Moon in june" est une compo dune tension extrême, portée par un désespoir brûlant. Et le solo dorgue que nous livre Ratledge vous saute à la gorge et vous colle littéralement à votre chaîne jusquà la fin du morceau !
"12/8 Theme" révèle la complémentarité sonore qui existe entre lélégance du sax soprano de Lyn, et lalto dElton.
"Esthers Nose job" est soigneusement dévergondée par les interventions subversives de Lyn. Les deux sax, se gardant bien dimiter les frangins Hopper, sont en rut, et ils rugissent, vocifèrent, éructent, libérent tout un discours :
- de spasmes free et animaux,
- de drones inquiétants et chinois,
- de chants damour dun lyrisme inconsidéré,
- et de cris de jouissance, impudiques, au delà de tout possibilité de narration.
Sur "Pigling Bland", Elton narrive pas à en placer une Lyn est tellement survolté, inspiré et généreux !
"We did it again" explose son format pop. Le groove implacable, trépidant, donne envie de taper des pieds, le public frappe des mains. Puis le sax sen mêle, Bob se permet quelques libertés dans linterprétation des vocalises, ajoutant une touche pataphysique supplémentaire à cet instrumental explosif. Un solo de basse simple et pêchu ; et lorgue se laisse à son tour emporter par le bouillonnement rythmique. Le sax exagère, le tempo ralentit, puis semballe définitivement jusquà lexplosion finale : Le sax en rajoute, outrage !!!
Il est important de noter que le son des sax se voit ici infliger un traitement peu banal : disto et wah : « les membres du quintet devaient porter de boule quies pour supporter lagression sonore permanente » !!!
Après le départ de Lyn, le groupe saccordera pour jouer moins fort et explorera des contrées jazzy avec moins de démence, et plus de mesure, mais aussi moins doriginalité.
Pour terminer, imaginons un instant que ce soit Elton qui ait quitté le groupe. Lyn aurait sans doute conduit les Soft dans une direction bien différente. Ce serait peut être Mike qui aurait valsé.
aur
Track-list de Noisette
1. Eamonn Andrews (12:15) 2. Mousetrap (5:24) 3. Noisette (0:37) 4. Backwards (4:48) 5. Mousetrap(reprise) (0:26) 6. Hibou, Anemone And Bear (8:50) 7. Moon In June (6:55) 8. 12/8 Theme (11:25) 9. Esther's Nose Job (14:30) 10. We Did It Again (7:15)
Total Time: 72:25
Line-up de Noisette
- Elton Dean / alto sax , saxello - Lyn Dobson / soprano sax, flute, vocals - Hugh Hopper / bass - Mike Ratledge / electric piano, organ - Robert Wyatt / drums, vocals
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