Si Demon avait déjà chapardé létiquette dalbum le plus sombre de la discographie en clair-obscur de Gazpacho, son successeur intitulé Molok devrait lui reprendre le titre sans beaucoup de résistance. Et pour pousser plus loin le bouchon dune musique complexifiée et densifiée, les norvégiens ny sont pas allés par le dos de la cuillère, de la fourchette ou de quoi que ce soit qui pouvait leur tomber sous la main. Molok est tout simplement le premier disque théoriquement capable de détruire lunivers. Tout lunivers ? Oui ! Et comment ? Par un code inséré à la fin de lalbum capable de générer un nombre aléatoire possédant assez dinformations pour exprimer la mesure du total de particules élémentaires présentes dans lunivers et provoquer, par réaction, un effet Quantum Zeno (ou paradoxe de Turing) avec trou noir, apocalypse, fin des choses et tout le toutim. Euh mais encore ? Le Dr Adam Washington de luniversité de Sheffield confirme la chose dans loreillette. OK. Bon, comme argument marketing, on a connu moins retord. Il y a bien eu les légendaires chansons des Beatles (« Rain ») ou des Doors (« Break on Through ») notamment, supposées invoquer le diable, mais personne navait tenté de faire partir lunivers en sucette ! Pragmatiques, les musiciens de Gazpacho répliquent avec un flegme épatant que cela prouverait néanmoins (mais avec ne néant) la vacuité de lexistence. Soit. Mais pour les droits dauteurs, comment feraient-ils ? Angoisse
« Si cette destruction est le fait dune petite réaction chimique, cela a-t-il la moindre valeur spirituelle ? Dans ce scénario, il ny a ni bien, ni mal, juste une absence de sens. » Gazpacho
Scénarisé, le concept peut voir venir. Molok se met en scène dans les années 1920 et suit un homme persuadé que ladoration dun dieu passe toujours par la pierre, quelle que soit sa forme (cathédrales, stonehenge, temples etc.). Il en conclut que les adorateurs de ces dieux ont fini par les enfermer dans ces pierres, ce qui nous ramène évidemment aux mythes et folklores nordiques. Ce personnage développe ensuite une vision très mécanique des choses où chaque événement serait le résultat logique du précédent ce qui lui permet, via des calculs savants, de visiter le passé comme le futur grâce à une machine infernale nommée Molok, en hommage au démon du même nom. Lalbum sarticule sur la réflexion que sans religion, lhomme reste incertain du sens de son existence, ce qui le pousse à trouver des réponses nimporte où ailleurs et par nimporte quels moyens également.
Et la musique dans tout ça ? Sans surprise, la funeste mutation engagée avec March of Ghosts (2012) et Demon (2014) touche au but. Des rythmes singuliers de « Park Bench » à la montée dramatique de « The Master s Voice », nous retrouvons le style du groupe chevillé au corps dun album touffu et dense. Même le côté espiègle de « Bela Kiss » ne prend pas le pas sur les montées dadrénaline, marque de fabrique des musiciens qui se jouent des éléments avec cet art consommé pour les ruptures submergées (« Know Your Time »).
Dans le sombre monde de Gazpacho, la musique sert aujourdhui de support à un concept-autoroute aux inconnues multiples. Les bornes électriques restent branchées, les guitares vespérales pratiquent une greffe inespérée qui évite lintérim. Se dévoile une musique ample, quelques coups de maître, un sens du fascinant, une grandiloquence grouillante qui ne sépargne rien : pour aller au bout de son concept, Gazpacho a même invité larchéologue musical Gjermund Kolltveit sur le titre (splendide) « Molok Rising » et tous samusent alors à jouer des instruments aussi anciens, quimprobables : pierres, mâchoires de requins, flûtes et une Skåra Stone vieille de 10.000 ans. Dingue !
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