Tout le monde y croyait. C'était plutôt bien barré d'ailleurs, et puis... et puis... et puis patatra ! Disons le clairement. Saleté de virage, les pieds et les mains calés sur le frein, l'accident bête - déballonage en règle, retour à l'expéditeur gratuit. Les moins indulgents souriaient déjà, convaincus d'une fin programmée depuis dix ans d'inertie. En face, les fans font profil bas. Un rictus douloureux devant la bérézina annoncée fièrement par un Mike Oldfield visiblement à l'ouest. Et là-bas, rien de nouveau, le bonhomme n'habite plus à l'adresse indiquée.
Flash-back. En 2003, le bonhomme s'était retapé une petite cuillère de névrose tubulaire en enregistrant une version rutilante de son uvre séminale ("Tubular Bells" pour les amateurs de roupillons), celle qui avait fait le bonheur du portefeuille encore vierge de sieur Branson himself.
L'occasion semblait trop belle ! Réussite artistique, accueil enthousiaste, Mike envisage dans la foulée son avenir musical alignée sur "Hergest ridge" et "Ommadawn" - grandes suites à thèmes, complexes, avec de vrais bouts d'instruments à l'intérieur. Bref, un retour aux sources programmé dans les règles de l'art.
Que nenni ! Si le nouveau promu intitulé sobrement "Light & Shade" ne mérite pas de finir au fond d'un tiroir poussiéreux, il n'ira pas plus redorer le blase un poil râpé du compositeur.
D'ailleurs, ça commence mal : une accroche sibylline scotchée sur le boîtier m'annonce "Du célèbre compositeur de musique moderne"... oh bravo ! Pour fêter ça, Mike nous invite à sa première double dose depuis des lustres et plus exactement "Incantations" en 1977. Aller ! C'est sa tournée ! Le maestro régale avec un disque "ambiant" (LIGHT) et son versant plus "rythmé" (SHADE). J'en vois déjà qui nous quittent, dépités.
Premier constat : le monstre bicéphale est un amalgame bringuebalant de Songs of Distant Earth (d'où surgit par un heureux hasard la splendeur diaphane "Angelique"), Guitars ("Closer" en reprise de "Plus près de toi" version bluesy sympatoche) et surtout Tres Lunas dont il se revendique le rejeton officiel. Forcément. Au delà de cette filiation, les compositions manquent un peu de peps, de nouveautés. Mais faisons table rase du passé, Mike ne joue plus dans la même catégorie. Qu'on se le dise.
Perdue dans les méandres de loops pas toujours inspirés, la patte du maître est loin de faire mouche à tous les coups. "Blackbird" ou "Gate" chuintent le coche en costauds et la basse chaloupée de "First Step" ne fait qu'enrichir un univers répétitif.
Dans ce grand déballage, le duo guitares-claviers se taillent la part du lion, coincés entre un mixage synthétique et le fameux outil Vocaloid simulant les voix comme sur "Our Father" - quelle idée saugrenue, quel étonnant résultat... Le (superbe) piano romantique de "Rocky" (cousin de la partie centrale "Amarok") rattrape le tir avant un "Sunset" (tiré du projet Maestro) aux variations douces et agréables ; très belle conclusion d'une première partie ni franchement flinguée, ni spécialement fracassante.
Le second disque confirme le côté un poil fainéant de notre ami - ses mélodies minimalistes le plus souvent habillées par un jeu de six cordes toujours très reconnaissable (quel son !), travaillent au corps un style Ibiza entamé depuis belle lurette avec Tubular Bells III ("Quicksilver", "Slipstream", "Tears of an Angel" plutôt appréciables).
Ce côté obscur passe du meilleur avec l'excellent "Resolution", bardé d'un riff solide comme un rock, au pire de chez pas beau : "Romance", inepte transposition crapuleusement techno du thème issu de "Jeux Interdits" interprété à l'époque par Narcisso Yepès. Pitié !
Entre ces deux versants, un titre anecdotique ("Surfing"), une re-sucé de l'un des meilleurs Tres Luné ("Ringscape") et un final galbé serré ("NightShade") qui ne parvient pas à nous chavirer pour le compte.
Outre une production parfois abrupte (certains titres finissent de manière cyclonique), les 16 compositions font ressurgir une évidente détresse créative. Emprunts, remixages, fonds de tiroirs, tout est bon pour remplir deux disques... et 81 minutes seulement !
Sopposent alors quelques très belles réussites (qui en feraient un merveilleux simple) à un florilège sclérosé d'intérêt assez discutable. Les férus du Vieuxchamps d'origine contrôlé tiendront ces quelques lumières comme l'espoir de beaux lendemains. Après tout, personne n'aurait hypothéqué son talent après les très moyens "Islands" et "Earth Moving".
C'est toutefois de ces profondeurs que notre homme avait puisé la force du granit pour nous livrer son chef d'uvre : "Amarok".
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