La sortie quasi concomitante du dernier album de David Bowie et la disparition de ce dernier, deux jours plus tard, ne manqueront pas dentraîner moult analyses mortifères, décelant dans les textes et lambiance de ce Blackstar bien nommé de quoi nourrir les interprétations les plus exaltées. Bien entendu, écouter à rebours ce vingt-cinquième opus dans la trajectoire stellaire de licône rock ne manquera pas dinterpeller. Sil avait fallu dix ans entre Reality (2003) et The Next Day (2013), une sorte durgence animait la création de cet obscur objet du désir. Une urgence teintée de mystère avec effets dannonce autour dun clip vidéo vertigineux de dix minutes (« Blackstar »), une version audio du bouleversant « Lazarus », quelques séances découte pour la presse, des entretiens avec Tony Visconti et les musiciens, de folles rumeurs autour dun style renouvelé, extrême bref le lot habituel dun lancement dalbum à fort impact.
Avec le recul, on comprend aujourdhui toute la méticulosité prise sur cette rampe de lancement. Pourquoi, également, David Bowie ne souhaitait pas expliquer cette uvre à la pochette arborant une étoile noire sur un blanc immaculé. En réalité, et aujourdhui cela fait sens, Blackstar est un album posthume mais bien vivant. En allant piocher sur la scène jazz contemporain new-yorkaise la moelle excentrique des sept titres proposés, Bowie aura pris soin de se réinventer sans oublier tout ce qui constituait son uvre. Des musiciens jeunes (Donny McCaslin, Ben Monder, Jason Lindner, Tim Lefebvre, Mark Guiliana) qui impriment à lalbum une énergie à la fois féroce et veloutée, résumée dans ce morceau-titre à la fois énigmatique et fascinant ; une géométrie variable à la silhouette de bateau ivre, oppressante, exaltante qui fournit le malaise et le remède en un seul tenant, à grand renfort de chant azimuté, dorientalisme ombré et datmosphérique imprévisible. La spontanéité faite musique. La suite pourra sembler revenir dans les clous. Faux semblant dun espiègle. Quil sagisse des reprises de « Tis a Pity She Was a Whore » et « Sue » toutes deux datées de 2014, ou dun « Lazarus » autobiographico-cryptique, le monde de Blackstar semble seffondrer sur lui-même, comme une dépression condamnée à avancer malgré tout. Ténébreux et déstabilisant. Une souffrance malheureusement révélatrice. Si lalbum se conclue sur des accents pop plus classiques, mais pas moins réussis (« Dollar Days », « I Cant Give Everything Away »), David Bowie revient dans le sillon dune musique assagie mais paradoxalement hypnotique.
Surtout, en habillant lalbum dun saxophone omniprésent, cet instrument avec lequel il commença dès lâge de 13 ans, David Bowie envoyait un message limpide vers son passé. Blackstar savance ainsi dans la nuit, passant de son style le plus expérimental à sa signature la plus élémentaire. Ce spectre large annonce comme un retour aux sources de son art. Et, sachant son destin scellé, il boucle son histoire avec une rare maestria. Salut lartiste !
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